La Côte d’Ivoire est-elle vraiment prête à se réconcilier ?

Article : La Côte d’Ivoire est-elle vraiment prête à se réconcilier ?
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29 juin 2021

La Côte d’Ivoire est-elle vraiment prête à se réconcilier ?

Le retour de Laurent Gbagbo en Côte d’Ivoire suscitait de l’espoir chez de nombreux Ivoiriens épris de paix. Ils avaient naïvement cru que cela donnerait le top départ de la véritable réconciliation nationale. Hélas, mille fois hélas, rien n’a changé depuis le 17 juin 2021. Certes l’ex prisonnier de Scheveningen n’est au pays que depuis deux semaines, mais on peut raisonnablement penser qu’il n’apportera rien à la reconstruction de la nation. Le pouvoir, non plus, n’a pas encore envoyé des signaux positifs. Quant au peuple ivoirien sa haine continue de suinter sur Internet.

Le 17 juin 2021, jour de l’arrivée de Laurent Gbagbo à Abidjan, l’Observatoire mis en place dans le cadre du Programme Transition et Inclusion politiques (PTI) a collecté 207 discours de haine sur les réseaux sociaux en Côte d’Ivoire. Dans le détail, il a recensé 90 injures et diffamations, 83 propos animalisant, 24 autres sexistes, 6 commentaires xénophobes et injures identitaires, un souhait macabre et une attaque contre communauté. Plus de la moitié de ces discours (113) a été repérée sur Facebook, principalement sur des forums et groupes. Ces chiffres sont 3 fois, voire 5 fois, plus importants que ceux enregistrés les semaines précédentes. Ils témoignent de la persistance de l’hostilité et du ressentiment entre les Ivoiriens, dix ans après la crise post-électorale.

Des violences le jour du retour

Cette animosité entre Ivoiriens s’est également exprimée dans les rues. Certaines vidéos publiées sur les réseaux sociaux ont fait cas d’agressions sur les militants pro-Gbagbo de la part de partisans d’Alassane Ouattara. Ceux-ci reprochent à ceux-là d’accueillir triomphalement leur mentor, alors que le gouvernement a exigé un retour en catimini de Laurent Gbagbo pour ne pas heurter les victimes RDR de la crise post-électorale. Des convois ont été ainsi attaqués et des cars caillassés. N’eut été le professionnalisme et la promptitude de forces de l’ordre, ainsi que la sagesse de certains partisans du pouvoir, on aurait certainement assisté à un bain de sang ce jour-là.

Les victimes n’ont pas toutes les mêmes droits

Tout se passait comme si les victimes RDR avaient plus de droit que les victimes FPI qui voient aussi leurs « bourreaux » les narguer chaque jour (chaque camp continue d’ailleurs de nier les morts de l’autre et de se faire passer pour le groupe des saints). Le gouvernement contribue largement à répandre ce sentiment du « deux poids deux mesures » en laissant les siens manifester librement, mais pas les autres. On a notamment vu le sieur Issiaka Diaby et les victimes du régime tempêter pendant plusieurs jours, jusque devant le siège du FPI, pour demander que Laurent Gbagbo soit arrêté dès son retour au pays. Pourtant, le 17 juin, la police a fortement gazé les militants pro-Gbagbo qui allaient seulement accueillir leur leader à l’aéroport Félix Houphouët Boigny.

Aucun officiel à l’aéroport Houphouët Boigny

Toute la journée, le gouvernement a fait preuve d’un silence coupable. Il a laissé faire forces de l’ordre et vengeurs RDR. On aurait ainsi pu assister à un drame et chacun se serait renvoyé la responsabilité… Comme toujours. Ce 17 juin, on a également constaté l’absence d’Alassane Ouattara en Côte d’Ivoire. Le chef de l’Etat ivoirien s’était envolé pour Accra (Ghana) afin d’assister à une réunion de la CEDEAO.

La plupart des Ivoiriens attendait qu’il se rende à l’aéroport accueillir son « frère » Laurent Gbagbo et que tous les deux lancent un message fort en faveur de la réconciliation nationale. On avait rêvé que le président du PDCI, Henri Konan Bédié, soit associé à cette communion. Mais ce n’était qu’un rêve au pays des hypocrites. Par ailleurs, le pouvoir d’Abidjan n’a pas daigné envoyer un ministre ou un officiel pour souhaiter « Akwaba » à Laurent Gbagbo. Même le très symbolique ministre de la réconciliation nationale n’a pas fait le déplacement. Quel message a-t-on voulu envoyer aux ivoiriens ?

Le Messie s’occupe de ses problèmes conjugaux

De son côté, Laurent Gbagbo a refusé le pavillon présidentiel à lui accordé par Alassane Ouattara. Il a fait valoir des questions de sécurité. Ce qui prouve que la méfiance est toujours de mise entre les deux hommes. L’ex président ivoirien a surtout déçu une partie de son électorat à cause de décisions prises dès son retour au pays natal. Alors que les Ivoiriens l’attendaient tel un Messie, le « soldat » (c’est comme cela qu’il s’est qualifié à son ancien QG de campagne) a préféré se consacrer à des affaires de jupons. Il a d’abord lancé la procédure de divorce avec Simone Ehivet Gbagbo, cette dame à qui il doit en grande partie sa popularité actuelle. Elle a cofondé le FPI avec lui, a été de toutes les luttes du parti, a fait la prison à ses côtés et a combattu la rébellion telle une Amazone.

Sauver le soldat Gbagbo

Pourtant, Laurent Gbagbo s’est séparé d’elle comme d’un vulgaire chiffon. Cette femme ne méritait pas ce traitement. L’ancien pensionnaire de Scheveningen aurait dû attendre le bon moment et s’y prendre autrement. Laurent Gbagbo va même plus loin en demandant à ses parents de remercier sa « petite femme » Nady Bamba qui lui aurait donné de l’argent et de la nourriture dans la prison de la Haye… Un « hommage » de petit garçon rendu le lundi 28 juin 2021, à l’occasion d’une visite dans son village natal, Mama (Ouest).

On pourrait nous objecter qu’il s’agit ici de la vie privée de Laurent Gbagbo et qu’on n’a pas à s’en mêler. Cependant, nous trouvons bien dommage que cet homme âgé de 76 ans en soit à faire passer ses histoires d’amour avant la vie socio-politique de la Côte d’Ivoire. Certains analystes se demandent si le leader du FPI ne souffre pas de sénilité. Ils lui proposent même des analyses médicales approfondies pour voir s’il a encore tous ses esprits.

Soumission de l’autre plutôt que la réconciliation

Le pouvoir d’Abidjan doit certainement se délecter des « errances » de Laurent Gbagbo. Alors qu’il craignait l’intrépide combattant qui donnait des insomnies au grand Houphouët, il n’a finalement devant lui qu’un homme fatigué et peu lucide. On comprend donc le silence des « hauts parleurs » du gouvernement comme les ministres Kobenan Adjoumani et Adama Bictogo.

Ce dernier avait semblé très apeuré à l’annonce du retour du « Woody ». Il a multiplié les sorties pour demander une célébration dans l’humilité aux pro-Gbagbo. Désormais, il pourra trouver le sommeil, tout comme le régime d’Abidjan. Celui-ci pourra surtout continuer de tenir fermement sa position, sans concessions. Toutefois, il n’est pas seul à s’arcbouter sur sa posture. L’opposition aussi souhaite sortir vainqueur de ce bras de fer avec le pouvoir. Au bout du compte, tout le monde ne conçoit la réconciliation nationale qu’en termes de soumission. La Côte d’Ivoire n’est donc pas sortie de l’auberge.

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