Les râles d’un fou

Article : Les râles d’un fou
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15 août 2020

Les râles d’un fou

La longue aiguille venait de franchir la barre de douze. Elle courait maintenant, à grandes enjambées, en athlète infatigable, dire à la nuit de s’asseoir sur son trône de six. Les heures tombaient et quelque part une bûche aussi ; le temps est un bouquet que le vieil homme exfolie. Dehors, les lampadaires s’enflammaient les uns après les autres, on eût dit des bougies sous les clics d’un magicien. Quelques-uns clignotaient frénétiquement comme font les paupières quand on a du piment rouge dans les yeux. Treize heures, que Saki n’avait pas fermé l’œil de la nuit. Il était tassé, complètement sucé. A présent tout ce dont il avait envie c’était de dormir jusqu’à sept heures du matin d’un sommeil profond de larve. Pour l’heure, il se déployait dans son fauteuil, ce cocon douillet. De la fenêtre de son bureau, au onzième étage, il pouvait voir les travailleurs fourmiller dans les rues adjacentes. Qu’ils étaient minuscules, méprisables, si insignifiants. On pouvait les écraser presque et admirer une tâche de sang dans la main.

Saki parut songeur, un instant. A l’échelle de l’univers les hommes sont moins que des atomes. Sait-on seulement notre existence ? Un petit accident se produisait, la terre n’aurait jamais existé… D’un regard peiné il observait tous ces gens descendre des immeubles, bêtes de sommes de quelques patrons à la vie opulente. Leur empressement le fit sourire de dégoût. Vers quoi courraient-ils ainsi ? Des maîtresses, une famille, un maquis… En tout cas chacun courrait pour avoir une place à la gare des wôrô wôrô ou à la station de bus. Le ciel prenait couleur rouge braise, de cette braise qu’on trouve dans les foyers au village, quand on fait crépiter des épis de maïs. Lui parvint alors la senteur de la terre quand elle est mouillée, lui revint le tambourinement des gouttes de pluies sur le toit, le doux champ des oiseaux dans les arbres…Un air d’apocalypse faisait valser le ciel en éclairs. Tout devenait sombre au bureau. Saki s’enfonça dans son fauteuil en cuir pour disparaitre en fragment d’atomes. Des atomes qui planaient sur la ville, volaient, libres…

Un bruit sourd le fit revenir à lui. On frappait à la porte, faiblement. Ce ne pouvait qu’être Miss Konan, la secrétaire de Me Zadi. Elle apportait un dossier pour le weekend, comme à l’accoutumée. Derrière ses lunettes pharmaceutiques, Miss Konan roulait de petits yeux malicieux. Elle avança. Le bruit de ses talons agaçait toujours Saki ; il lui donnait la désagréable sensation de quelque chose de crissant, du sable sous les dents plus exactement. Fichte ! Quand elle tournait le dos, sa démarche lui rappelait vaguement quelque chose…une représentation du diable sur ses sabots.

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