De l’ascension sociale des femmes ivoiriennes : le faux miroir des réseaux sociaux

Article : De l’ascension sociale des femmes ivoiriennes : le faux miroir des réseaux sociaux
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27 mai 2021

De l’ascension sociale des femmes ivoiriennes : le faux miroir des réseaux sociaux

Ces dernières années, les réseaux sociaux sont devenus la première tribune pour faire étalage de ses biens matériels : vêtements, bijoux, téléphones, argent, etc. Cette ostentation affichée et assumée a pour but de convaincre les amis et les internautes que l’on a atteint un certain niveau de vie, enviable à souhait. Des influenceuses comme Emma Lohouès en font baver littéralement toutes les jeunes demoiselles d’Abidjan. C’est la Kim Kardashian de Côte d’Ivoire. Si l’image qu’elle renvoie d’elle est largement authentique, ce n’est pas toujours le cas pour de nombreuses filles qui vivent une vraie fausse vie sur Internet.

Se convaincre et convaincre les autres qu’on a de la valeur

La toile ivoirienne est inondée, depuis quelques années, de vidéos dans lesquelles les internautes étalent avec exubérance leur supposée richesse. A ce jeu, les arnaqueurs (plus communément appelés « brouteurs ») font office de champions. On les voit couramment compter sans fin des billets de banque sur le lit de leur chambre ou dans des résidences cossues. Cette pratique est censée démontrer qu’ils font désormais partie des plus riches du pays. La parade fait mouche et les jeunes Ivoiriens suivent de plus en plus leurs voies. Dans un style plus subtil, les influenceuses parviennent au même résultat. Ces stars du web aiguillonnent l’appétit de leurs petites sœurs qui ne rêvent que de devenir comme elles.

La sublime Emma Lohouès fait figure d’archétype suprême. Avec son goût prononcé pour le luxe et la belle vie, cette reine du showbiz ivoirien ne laisse personne indifférent. Au gré de ses voyages au Maroc et à Dubaï, elle dépense sans compter (le mot est bien pesé) dans des accessoires de mode. Dans chacune de ses publications sur Instagram, la star de 35 ans affiche ses tenues chics, ses bracelets et montres qui scintillent de mille feux. Elle rayonne. Ses bijoux soulignent sa beauté et son goût pour le raffinement, mais témoignent aussi de son rang social, envié de toutes.

L’unité de mesure des Abidjanaises

Toujours tendance, Emma Lohouès est devenue une sorte de boussole de la mode ivoirienne. Elle se fait justement appeler « l’unité de mesure » sur Instagram. Pour preuve, tout ce qu’elle porte fait le buzz et provoque une épidémie chez ses 2,7 millions de followers. Les filles d’Abidjan la prennent en modèle et ne jurent plus que par elle. Elles veulent ressembler à la Queen ou vivre comme elle. Mais la barre semble très haute pour la plupart.

En effet, si la Côte d’Ivoire connait une croissance à deux chiffres depuis plusieurs années, la pauvreté est omniprésente. À la vérité, les Ivoiriens ne ressentent pas le fruit de cette croissance soutenue dans leurs paniers et leurs portefeuilles. Par conséquent, tout le monde n’a pas les moyens de s’offrir le train de vie des influenceuses ivoiriennes comme Emma Lohouès. Par ailleurs, on a beau la traiter de prostituée de luxe, on sait tous qu’elle est d’abord une fille à papa, fille du puissant pasteur Eugène 1er.

Emma Lohouès, une dame accomplie socialement

Elle est aussi et surtout une actrice. La star ivoirienne a notamment endossé le rôle principal dans le film Le Mec Idéal (2011) avec lequel elle a remporté un « Étalon de bronze » au FESPACO et un Coq d’or pour meilleure actrice (première Ivoirienne à recevoir ce prix). Elle a aussi joué dans Villa Karayib en 2013 et dans des téléréalités telles que Les Lifeuses.

En outre, Emma Lohouès est une businesswoman à succès. Elle a ouvert en 2020 son « Empire 17 », qui comprend un salon de maquillage, une marque de cosmétique, une marque de mèches, un spa, entre autres. Cette année, la Queen a lancé sa marque de rouge à lèvres Lo’S beauty. Un patrimoine qui fait de la jeune mannequin l’une des dames d’affaires les plus puissantes et les plus inspirantes de Côte d’Ivoire. Derrière son air de fofolle dépensière se cache donc une véritable bosseuse et une femme consciente.

Géreuses de bizi, un nouveau métier du web

Malheureusement la plupart des jeunes filles ne regardent que le côté bling bling. Cette obnubilation ne leur fait pas voir le courage et le travail de fonds de ce top model. N’ayant pas ses vertus ou la patience de les cultiver, elles se séduire par la facilité. À force, un nouveau métier a vu le jour dans toute la Côte d’Ivoire : géreuse de bizi. C’est une sorte de prostitution « labélisée ».

On n’occupe plus les trottoirs la nuit et on ne reçoit plus dans une maison close. On préfère maintenant se déplacer à domicile et, pour les plus craintives, on reçoit son client dans un hôtel qu’on connaît bien. Pour dénicher leurs clients, ces géreuses de bizi créent des pages de promotion sur les réseaux sociaux avec le mot clé « Bizi » afin de se faire de la visibilité. Certaines optent pour la discrétion à travers une page Facebook banale, mais elles ne trompent personne sur leurs activités réelles.

Mèches humains et iPhone signe de richesse ?

Ces demoiselles passent le clair de leur temps à copier aveuglément le style de vie des influenceuses comme Emma Lohouès, Coco Emilia ou Diaba Sora. Elles publient des vidéos de leur séjour dans des hôtels cinq étoiles, des stations balnéaires, de superbes résidences et autres, à défaut d’aller à Dubaï. Aussi, on les voit dans des tenues chics et des accessoires très expressifs.

Si elles n’ont pas la possibilité de claquer plusieurs millions comme leurs références, elles peuvent au moins payer des bijoux pas chers pour femmes, des chaussures ou des vêtements sur des boutiques en ligne. Ces jeunes filles aiment brandir leurs iPhones dernier cri, tels des trophées, et montrer leurs « mèches humains ». Des perruques chères et de plus en plus décriées par ceux et celles qui prônent un retour aux sources : les magnifiques cheveux afro naturels.

Des opportunités existent pour sortir du lot

Toutes rêvent d’une belle vie, celle que font miroiter la télé et les réseaux sociaux. Ne sachant pas faire la part des choses, nos jeunes sœurs finissent par emprunter des voies tortueuses. Elles se donnent l’illusion d’avoir réussi dans la vie, ce qui n’est absolument pas le cas pour la majorité d’entre elles. Dieu seul sait combien de ces filles galèrent quotidiennement pour ne serait-ce que manger. Leur sulfureuse vie sur Internet n’est donc pas le reflet de l’ascension sociale des femmes ivoiriennes. Au contraire, elle est un faux miroir, un miroir trompeur, voire dangereux pour un public non averti. Dès lors, il faut y prendre garde. Elles-mêmes devraient se détourner de cette voie sans issue.

La clé de leur indépendance financière se trouve ailleurs, dans leur capacité à prendre une place accrue sur le plan économique. Certes, on peut faire un procès à l’Etat sur sa politique de l’emploi et de la jeunesse, mais on ne niera pas que des possibilités existent pour sortir du lot. Elles doivent se battre valeureusement pour se construire un avenir afin de compter parmi les vrais modèles de réussite nationale. Ce qui leur permettra d’augmenter leur pouvoir social réel à l’image de ces entrepreneuses, ces commerçantes, actrices, artistes ou élues qui donnent tout son sens à l’émancipation des femmes en Côte d’Ivoire et en Afrique. Nos jeunes filles pourront alors avoir les moyens de s’acheter tous les objets de luxe qu’elles désirent et toucher à la vie de rêve, celle menée par leurs modèles.

Suivre la voie des « nana Benz »

L’exemple le plus achevé de cette émancipation financière réussie est celui des « nanas Benz », ces femmes d’affaires célèbres dans les années 60, 70 et 80 en Afrique de l’Ouest. Originaires du Togo, ces Amazones du monde financier avaient pour activité principale le commerce de pagnes Wax hollandais. Elles doivent leur nom aux véhicules de marque Mercédès Benz dans lesquelles elles aimaient circuler à Lomé et dans les autres capitales de la région. Ces voitures allemandes, à la mode à l’époque, étaient le signe de l’ascension sociale.

Outre le commerce, ces Nana Benz ont investi dans de nombreux secteurs, dont l’immobilier (en Afrique comme en Europe), la santé, la culture, l’éducation, la politique et ont même pris des actions en bourse. Ayant réussi à remettre en cause le rôle traditionnel de la femme au foyer, elles vont ensuite s’appliquer à assurer la relève. En effet, ces redoutables mamans ont formé leurs filles et leurs petites sœurs au rouage du monde du business très machiste. Leurs successeuses se feront appeler les «Nanettes» ou les «Golden Ladies ». Des combattantes au parcours très édifiant. C’est ce genre de réussite social qui force le respect. Emma Lohouès peut être considérée comme une héritière de ces Nana Benz…

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