7 juin 2022

Le problème ivoirien au-delà des trois grands ! (partie 1/3)

Première partie : de la nécessité de mettre à la retraite les trois « fétiches »

On entend de plus en plus d’Ivoiriens dire que la Côte d’Ivoire se porterait mieux si les trois grands (Alassane Ouattara, Laurent Gbagbo et Henri Konan Bédié) prenaient enfin leur retraite politique. C’est vrai, ce trio est à l’origine de toutes les crises qu’a connues ce pays depuis plus de trente ans. Mais c’est se tromper sur toute la ligne que de croire que leur retrait seul suffirait à faire disparaître, comme par magie, tous nos maux actuels. Ces leaders ne sont qu’une partie des problèmes de la nation ivoirienne, qui a besoin d’une profonde refondation de toutes ses strates.

Une loi pour les pousser vers la sortie

Le député-maire de Tiassalé Antoine Assalé Tiémoko a déposé à l’Assemblée nationale, le 4 avril 2022, sa proposition de loi sur la limitation de l’âge pour la candidature à la présidentielle en Côte d’Ivoire. Ce texte préconise notamment de fixer l’âge maximum d’éligibilité à 75 ans, comme c’était déjà le cas dans la précédente Constitution. Il sera examiné et débattu, seulement et sereinement, en fin d’année compte tenu de ses lourdes conséquences politiques. En effet, en cas d’adoption, cette loi forcerait les trois grands à abandonner la course à  la magistrature suprême. Il s’agit en l’occurrence de l’actuel président Alassane Ouattara (RHDP) et de ses deux prédécesseurs que sont Laurent Gbagbo (PPA-CI) et Henri Konan Bédié (PDCI-RDA).

Depuis son annonce en septembre 2021, la proposition de loi fait l’objet de débats dans les foyers, « parlements » ou « agoras » et « grin » ivoiriens. Si certains estiment que la limitation de l’âge n’apportera rien à la Côte d’Ivoire, d’autres pensent qu’elle permettra de tourner enfin une page douloureuse de l’histoire du pays. Depuis le décès du premier président Félix Houphouët Boigny, le 7 décembre 1993, la locomotive de l’Afrique de l’ouest est plongée dans un chaos indescriptible. La faute au trio « infernal » Alassane Ouattara-Laurent Gbagbo-Henri Konan Bédié, voire au quatuor « démoniaque » en incluant le Général Robert Guei. Celui qu’on surnommait « Papa Noël » a été tué à Abidjan dans la nuit du 19 septembre 2002, en pleine tentative de coup d’Etat. Ce putsch se transforma le lendemain en rébellion, après l’échec et le repli des assaillants dans les zones centre-nord-ouest (CNO).

Vue aérienne du Plateau, à Abidjan (Côte d'Ivoire)
Vue aérienne du district du Plateau, Abidjan, Côte d’Ivoire.
Crédit : Basile Zoma / Flickr

Un pays profondément balafré par les politiques

La rébellion de 2002 n’a pas été le premier acte de cet épisode sanglant qui dure depuis plus de trente ans. Elle a été précédée de revendications chaotiques, de répressions sanglantes, de déclarations incendiaires, de charniers et de plusieurs coups d’Etat manqués. On a ensuite eu droit à des massacres, des persécutions, des assassinats jamais élucidés, puis la crise post-électorale et les conflits intercommunautaires. Ouattara, Gbagbo et Bédié sont directement ou indirectement responsables de ces drames.

Ils ont manipulé leurs militants en tirant sur la fibre ethnique, régionaliste, religieuse et identitaire. Ils ont fait croire à leurs partisans que ce sont eux les victimes et les autres, les éternels bourreaux. Le narratif nauséeux a logiquement attisé la haine dans les cœurs et balafré définitivement la nation ivoirienne. Aujourd’hui, les Ivoiriens se méfient les uns des autres. Ils ont pratiquement perdu les valeurs qui les caractérisaient, à savoir l’hospitalité et l’amour du prochain. La cohésion sociale a volé en éclats pour laisser place à la division et à l’animosité.

Toujours pas de vérité et de repentance sur la crise

Ces dernières années, on a vu des Ivoiriens s’entre-découper et décapiter leurs frères pour défendre leur « pouvoir », ou plutôt celui de leurs leaders, qui se goinfrent sans eux. On a même vu certains appeler à l’extermination d’un groupe ethnique sur l’exemple du Rwanda pour, je cite, qu’« on se respecte enfin dans ce pays ». Un tel niveau de ressentiment témoigne bien de la décomposition totale de la nation ivoirienne, qui n’a plus rien à voir avec celle de Nana Boigny. Le venin de la violence et de la haine s’écoule désormais dans ses vaisseaux sanguins, contaminant tous les tissus et organes.

Et ce ne sont pas les nombreuses initiatives de réconciliation nationale qui changeront la situation. D’ailleurs, celles-ci expriment bien l’hypocrisie et le cynisme de nos politiques, qui s’allient et s’opposent au gré de leurs intérêts. Prenons l’exemple de la Commission dialogue, vérité et réconciliation (CDVR), qui a accouché d’une souris. A sa création en 2011, elle avait pour mission d’œuvrer en toute indépendance à la réconciliation et au renforcement de la cohésion sociale entre toutes les communautés vivant en Côte d’Ivoire. Au terme de son mandat, en 2016, l’organisme a publié un rapport dans lequel il revient sur les causes profondes des récentes crises ivoiriennes (foncier rural, instrumentalisation de l’identité nationale, pauvreté, etc.), avant de faire le bilan des violations des droits de l’homme dans le pays et de réclamer la vérité ainsi que la repentance.

Mettre impérativement fin à la souffrance des Ivoiriens

Malheureusement rien n’a été fait. Nous avons plutôt assisté à la poursuite des accusations, les uns continuant de rejeter la faute sur les autres. Et les bourreaux narguant toujours leurs victimes, dans les deux camps. Et tout ceci sous l’onction des principaux leaders, dont les rencontres au sommet ne servent également à rien, depuis le forum de réconciliation nationale en 2001 jusqu’au récent dialogue politique. Ces rendez-vous de sorciers n’ont eu pour seul résultat que de faire perdre du temps et de l’argent aux Ivoiriens. Ils ont même été suivis de crise majeure, comme la rébellion de 2002.

Depuis plus de trente ans, les Ivoiriens souffrent. Ils ont tellement souffert des batailles interminables et de la mauvaise foi de leurs politiques qu’ils souhaitent à présent vivre en paix, vivre aussi leur vie. Particulièrement la jeunesse, qui n’a pas d’avenir aujourd’hui malgré les chiffres flatteurs des amis d’Alassane Ouattara…Les jeunes Ivoiriens ne veulent plus être des moutons de sacrifice pour des hommes assoiffés de pouvoir. Ils en ont marre des fausses promesses, de la démagogie et des manipulations sordides. Ils souhaitent mettre fin à ce cycle de violences qui les broie tous les dix ans. « C’est quel palabre qui ne finit pas ? », questionne-t-on ici et là.

Des revanches à prendre et des besoins de réhabilitation

Si les trois grands ne sont pas fatigués de voir le sang des Ivoiriens couler, ceux-ci désirent de plus en plus les contraindre à aller aux oubliettes comme des vieilleries. Ils veulent désormais se débarrasser de ces personnes égoïstes, dont la sénilité déteint maintenant sur le comportement… Ces leaders sont dépassés, périmés pour proposer quoi que ce soit. La Côte d’Ivoire, tout comme l’Afrique, a plus que jamais besoin d’une nouvelle génération de politiciens. Elle a besoin de sang neuf qui comprenne mieux ses nouvelles réalités et qui réponde aux attentes nouvelles.

Pourtant, les trois grands ne se voient pas encore au placard. Ils se croient toujours indispensables à une nation de 25 millions d’habitants et de dizaines de milliers d’hommes et femmes compétent.e.s. Le pis, c’est que chacun croit avoir une revanche à prendre sur les autres. Le plus âgé, Henri Konan Bédié (88 ans), souhaite être lavé de l’humiliation du 24 décembre 1999. Ce jour-là, il fut renversé comme un malpropre par des militaires sous la houlette du Général Robert Guei. Ensuite, pour reprendre les paroles de Tiken Jah, le « balayeur » a été lui-même « balayé » du pouvoir par la rue, en octobre 2000. Il a eu plus roublard que lui, Laurent Gbagbo, dit le « boulanger ».

Qui refermera la page des trois grands ?

Le plus jeune des trois, Laurent Gbagbo (77 ans) rêve aussi de prendre sa revanche sur l’Histoire. Il argue que la rébellion ne l’a pas laissé travailler. On ne le saura jamais. Mais on sait que sa refondation a capoté, finissant en lambeaux pourris de corruption, de népotisme et de laxisme. Alassane Ouattara (80 ans), lui, a toujours nourri l’idée de faire mieux que les deux autres. Comme un grand gamin…Il pense déjà avoir mieux fait que ses prédécesseurs, avec ses nombreux ponts et routes, même si son émergence semble un lointain mirage. Le demi-dieu du Rassemblement des Houphouëtistes pour la Démocratie et la Paix (RHDP) veut refermer lui-même la page des trois leaders et ainsi rester dans l’histoire ivoirienne comme le plus compétent. Mais il ne faut pas compter sur les deux autres pour le laisser faire. On le voit donc se présenter pour un quatrième mandat en 2025, avec cette explication magistrale : « Gbagbo et Bédié se présentent, donc moi aussi j’y vais ». Et Macron d’ajouter : « Ce serait une injustice de ne pas le laisser y aller quand ses deux rivaux y vont ».

Ne pas oublier le second mandat de la troisième république

Le maître de Paris et son pion d’Abidjan ont déjà sorti un argument farfelu en juillet 2020, après le décès du supposé successeur Amadou Gon Coulibaly. « J’ai pris la bonne décision. (…) Si les uns et les autres savaient combien d’années, il m’a fallu pour préparer Amadou Gon Coulibaly (…) On ne peut pas préparer un successeur en quatre semaines ou en deux ou trois mois », avait soutenu le seul capable et seul diplômé PhD de Côte d’Ivoire (rire)… A l’époque, le président français Emmanuel Macron a parlé de « sacrifice » pour son pays (Lol). Mais Ouattara a un autre argument bien plus solide : le fameux second mandat de la troisième république.

Ses partisans sont déjà en train de régler leurs instruments pour entonner la musique dans trois ans. Et puis il n’y aura rien en face. En effet, à l’instar d’octobre 2020, celui qui se considère comme le seul vrai « Houphouëtiste » (merde) pourra compter sur la force et les armes pour parvenir à ses fins. On aura encore droit au refrain « un coup KO » scandé autrefois à en perdre l’haleine par le célèbre guerrier des guerriers RHDP, feu Hamed Bakayoko. Et puis passera le fameux «  Gbaka vert » bondé d’« enfants en conflits avec la loi » (un euphémisme du pouvoir pour qualifier les « microbes »). Dans leur sillage, des têtes coupées, des bras sectionnés…Et après on aménagera une jolie table pour le dialogue politique. C’est bien ce qui se passera si les trois se présentent. Pas besoin d’être un devin…

Destruction en 2011 d’une maison au quartier guéré à Duékoué, Côte d’Ivoire. Crédit : Michael Fleshman via Flickr.

De plus en plus d’appels directs à la candidature

Mais leurs partis les laisseront-ils concourir en 2025 ? Au RHDP, Alassane Ouattara parle et tout le monde exécute, comme le gourou d’une secte. Tout tient de sa volonté. Donc RAS de ce côté-là. Au PDCI-RDA (Parti Démocratique de Côte d’Ivoire-Rassemblement Démocratique Africain), en revanche, des grognements montent. Si Bédié n’a pas encore clairement annoncé ses intentions, il y en a qui ne peuvent plus contenir leur impatience. A l’image de Jean Louis Billon, qui ne se gêne plus d’écraser les orteils du doyen en annonçant sa candidature pour 2025. Lors de la dernière présidentielle, il avait renoncé à ses ambitions au dernier moment, au profit du « vieux ». Cet acte a sonné comme une dernière chance pour garder le respect entre les deux hommes. Le milliardaire ivoirien n’entend pas se sacrifier à nouveau pour le roi Nzuéba.

Quant à Laurent Gbagbo, on voit bien qu’il n’a pas l’intention de se retirer à Mama. A son retour de la Haye, en juin 2021, il a indiqué à ses militants qu’il était prêt à reprendre la bataille. « Je suis votre soldat, je suis mobilisé », avait-il lancé. Récemment, le très zélé Damana Pickass disait ceci : « Je dis Gbagbo Laurent est revenu pour reprendre le pouvoir (…) Parce qu’en 2025 il n’y aura pas de prolongation pour le régime Ouattara ». Mais Affi N’Guessan n’a pas attendu ces déclarations du camarade Pickass pour confisquer le FPI, obligeant son chef à créer un nouveau parti en octobre 2021 : le PPA-CI (Parti des peuples africains Côte d’Ivoire). L’ancien premier ministre juge qu’il est temps de lui laisser la place, à presque 70 ans. C’est maintenant ou jamais!

Des sectes et des disciples fanatisés

Affi N’Guessan n’a pas la même patience que Billon. Et maintenant il se retrouve avec un FPI sans âme, une « enveloppe vide ». Pis, il est devenu l’ennemi public numéro 1 des GOR (Gbagbo Ou Rien) devant Alassane Ouattara. Autour de lui, il n’a plus que ses proches amis et leurs familles, qui mangent dans le même bol…dans le restaurant d’à côté (RHDP), dit-on. Le sort du député de Bongouanou est similaire à celui de Blé Goudé (50 ans), de Soro Guillaume (50 ans) ou encore de KKB (53 ans). Epinglés avec l’étiquette de traites, ils sont constamment vilipendés et calomniés pour avoir eu le malheur de prendre leur propre chemin.

On pense qu’ils n’auraient pas dû quitter le giron de leurs mentors. A savoir Laurent Gbagbo pour Blé Goudé, Alassane Ouattara pour Soro Guillaume et Henri Konan Bédié pour KKB. Ces jeunes loups ont eu le toupet de nourrir des ambitions politiques. Pour les militants fanatisés, les trois grands doivent régner ad vitam æternam. Ils seraient des illuminés, des omniscients, omnipotents, trois fois saints, voire d’essence divine.

De nouvelles accusations de tricherie et de bourrage des urnes

On semble consciemment oublier que le malheur de ce pays vient de leur guerre sans cesse. Pis, on ne veut pas voir le danger qui guette à nouveau la Côte d’Ivoire avec une candidature de ces trois en 2025. Il est clair qu’aucun d’eux n’acceptera ce qui sortira des urnes. A part peut-être Konan Bédié, par couardise celui-là, dit-on. Il aurait déjà été assez lâche en 2010 pour laisser sa place à Alassane Ouattara au second tour. Il se raconte que c’est la sagesse Akan qui lui dicte de céder là où des insensés ne veulent pas entendre raison. Les insensés? Voyez-les où vous voulez, mais Laurent Gbagbo et Alassane Ouattara ont l’habitude de la contestation violente.

Il faut compter sur ces deux-là pour avoir de nouveaux affrontements, des morts et une destruction en règle des acquis de ce pays qu’ils n’ont pas construit. Leur seul exploit à ce jour, hormis la sève de la violence inoculée à leurs militants, ce sont les bitumes effervescents, les projets sur maquette, la culture de la perversion et de la médiocrité. Ils ont l’art des discours démagogiques et des promesses mielleuses. Pour éviter un risque de « rwandadisation » de la Côte d’Ivoire, il faut les pousser à prendre leur retraite. Comment ? Nous ne savons pas…Peut-être par un sursaut populaire qui transcende les partis politiques. Mais, une fois débarrassé d’eux, quelles alternatives pour ce pays ?

La suite dans le second épisode.

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